Sain dégagement de l'être

                         Marc Chagall, Vitrail de la Création, cathédrale de Metz, 1959-63


« Je comprends ainsi que j’avais en moi certaine vérité, bien avant que ne fût le monde en péril. »

Nous savons, dès l’abord, comme si cela était en nous, la constitution de notre être, et nous ne la mettons en question. Nous savons ses excitations nerveuses, ses douleurs et ses joies ; mais nous ne pouvons entreprendre de saisir ses envies profondes, ce à quoi véritablement il aspire. Longtemps j’ai délaissé ce qui m’était naturel, d’un sens obvie, et j’ai traîné reclus en dehors de la foi. Le voile est pernicieux qui fait délaisser la vérité.

Mais, quand bien même notre propre compréhension serait entachée, nous pouvons attendre, sainement, que le monde (Dieu à son premier chef, la Providence) fasse son œuvre. L’attente, cette mise en réception de l’être, qui n’est autre que l’une de ses faces, nous permet de nous connaître au mieux. C’est par elle que tout a été fait, c’est pour elle que nous vivons, en ceci qu’elle façonne une traversée, une aventure qui seule nous fait espérer, et par là vivre. Elle est un soin apporté à l’envie de suicide, idée toujours trouble que nous ne pouvons vraiment penser adéquatement. Au fond de l’être se cachent des parcelles d’un mieux-être, d’une façon nouvelle qu’il peut appliquer pour lui afin qu’il persiste dans ce qu’il doit représenter, au sens d’une présentation répétée et en conscience de son sens profond à laquelle il croit.

Le problème réel, c’est la fragmentation. Chacun existe au sein de sa cellule familiale, de son univers (qu’il s’approprie), et cela peut se faire rare que de partager véritablement quelque chose. Moi-même je crois que je ne puis écrire qu’en fragments, parce que je me pense faible. Les échos furieux du monde me façonnent, dans mes négations et mes désespoirs. Cependant, à vivre, à voir il est des expériences véritables, qui touchent l’être partout où elles passent. La messe est le corps d’une apprésentation de l’être dans son devenir ; par sa réalité l’être se donne à l’Autre, quand il connaissait seulement le Même du quotidien – nous concédons certes que l’Autre se donnait, mais passivement, dans la rencontre humaine indistanciée. Par la messe nous rencontrons à la fois l’Autre le plus éloigné de nous par sa nature, mais l’Autre qui est nous-mêmes, Dieu qui s’est fait homme dans le Christ, dans une réflexion luminique que comprennent les yeux héliomorphes.

Ainsi la messe se vit, dans ses étapes, sa propédeutique. Les chants grégoriens attentent à notre solide carapace de mondains, parce qu’ils sont un dévoilement à travers la structure de l’Église (et de l’église), pour cela que tout le monde les entonne, la communion à notre tentative d’être seuls (d’êtres seuls, c’est-à-dire dans le temps et un espace que l’on pense horizontalement), la prière solennelle à ce que nous avons décidé en dehors de la sphère catholique – de la Loi ; la messe se vit mystique, ou n’est pas. Elle est réussie dans la consécration eucharistique (mystagogique), hors de toute mondanéité, célestement. Elle découvre nos aspérités, notre faiblesse pour les donner à Dieu, qui nous les rend non en mots, mais en ressentis. Les quasi-pleurs dont j’ai fait l’objet lors des chants sacrés, ces chants entonnés par le prêtre à la figure paternelle et signifiante, je crois que je n’ai pas à les ressaisir comme une négation de moi-même, mais comme une certaine vérité que j’attends, que j’affectionne et réceptionne au fil du temps, de mon évolution. Ainsi plutôt, après que j’ai lu dans le Livre du monde :


« Candia. 

Mon fils, que naît-il dans ton âme ?
Christ t’a dit : « N’aie pas peur. »
Es-tu éveillé ? Regarde la croix de cire :
elle a été bénite le jour de l’Ascension.
Sur les gonds a été répandue l’eau sainte.
La chose triste n’entrera pas ici.
Tes sœurs ont tendu la ceinture,
cette ceinture que tu as gagnée
avant que tu te fisses berger,
gagnée au jeu du droit sillon ;
t’en souvient-il, mon fils ? Elles l’ont tendue
pour notre parenté qui tout à l’heure passera,
mais qui ne passera qu’en payant le péage.
Pourquoi demandes-tu, puisque tu sais l’usage ?
1 »

1 Acte I. - Scène II. Gabriele d'ANNUNZIO. La fille de Jorio. Tragédie pastorale. Calmann Lévy, Paris 1905, p.21

Commentaires