Mon espoir ne se fonde pas en autre chose qu’en lui-même ; sa motivation est répétée, mais se répète incessamment, dans la consumation de son propre feu. Ce n’est pas tant dans le travail que l’on trouve une destinée espérée, mais dans l’accomplissement de soi – ce perfectionnement, cet accroissement de son propre talent, nécessite un travail, mais non pas un travail académique, ou une production plastique ; il s’agit d’une rugosité que l’esprit s’impose, qui permet d’accéder au royaume des cieux. Je trouve dans le rythme essentiel de l’être, qui est en sa pensée relayée dans le corps, la foi nécessaire pour vivre ; et c’est comme de moi-même que je peux rejeter ce qui m’est néfaste. Chaque jour comporte sa peine, et cette peine est composée eu égard à une espérance : celle de trouver du repos ou de l’activité ; au fond, de trouver une souffrance ou une béatitude dans le jour que j’expérimente. Il ne suffit pas d’expérimenter pour vivre ; il est de notre nature de souffrir notre corps, de l’endurer, à cette fin que nous nous endurcissions, de corps et d’esprit, dans la visée d’une élévation. Je ne trouve pas dans la religion matérielle de réconfort, sinon d’un plaisir passager, nul à terme, parce qu’il comporte sa part d’addiction. Je sais que doivent êtres jetés l’éphémérité et la mauvaiseté des plaisirs sensibles, car ce n’est pas le corps qui nous fraye une voie sur le chemin de reverdie, de Pâques qu’est l’Esprit ; c’est au contraire l’âme qui est appelée à elle-même lors que nous la recueillons, parfois que nous sommes en extase – par exemple, quand j’écoute de la musique, quelle qu’elle soit d’ailleurs, de nature mélodique ou simplement l’écho d’une voix poussée à son terme, timbre de l’infinitude.
D’où j’insiste sur l’importance vitale de la foi, ce sentiment plénier de l’existence. Je sais ainsi ce qui m’est promis, ce que je suis, dans la compréhension totale du monde et de mon être, dans la parfaite saisie de ma particularité, de ma singularité, mais de celle de l’Autre, qui existe subsumée sous la catégorie du Même. La contemporanéité qui m’échoit, je l’accepte ipso facto, je ne la plains pas ; du même coup, je fais le bien pour les êtres essentiels, qui sont ceux que je sens, mais ceux pour lesquels doit brûler un cierge à l’église. Ces êtres me sont donnés sur toute la linéarité de mon temps d’exister ; je ne les sais jamais à l’avance, et je dois les accueillir comme ils me viennent, c’est-à-dire sous le prisme de la sensation. Ma tentation de refuser la vie, ce nihilisme primordial des siècles, est à réévaluer via les autres, via cette conscience-d’exister qui persiste grâce aux autres. La foi permet d’éviter beaucoup d’écueils ; et d’ailleurs, cette foi ne revêt jamais le masque de la violence. Ceux qui vous font croire que Dieu doit vivre de sang et de combats sont nauséabonds. Le seul combat qui doit être mené est contre soi, contre ses propres tentations de bâtir contre Dieu. Lui-même n’est jamais donné à l’être sous des modalités d’expérience sensibles ; quoique Dieu se sente, il ne m’apparaît jamais sous une donation. Je sais son paysage, sa face ; je sais ses êtres, ses voies ; mais je ne Le sais pas, parce qu’il demeure en un haut-lieu de l’Être. C’est pourquoi la foi est le propre de chacun – elle n’existe pour l’autre, mais pour moi, moi qui sais ma vérité essentielle.
Nous existons en vertu d’un mouvement ; celui de nous en retourner à Dieu, dans la dispersion et la disparition de notre être matériel. La matière, corruptible plus qu’il ne faut, joue cependant le rôle d’une courroie ; elle ce par quoi nous existons, tandis que notre essence préexiste dans la Forme, qui est de toute éternité. Mépriser la matière, ce serait, par corollaire, nous médire nous-mêmes, en tant que nous en prenons part. Mais, ce qui est légal, c’est d’éviter cette matière ; de détourner notre œil lorsqu’elle se présente. La matière n’est pas dans les êtres, dans le corps végétal ou dans les choses ; la matière réside dans une corporalité immatérielle, parce que ce n’est jamais que sa Forme que nous percevons, lors que nous la recevons sous le mode de la sensation, dans la vue ou le corps. Nous saisissons l’unité de l’objet, sous une unité d’expérience, mais jamais la seule matière ou la seule Forme. Il est alors idiot de s’élever contre la matière, en la qualifiant de mauvaise, de travers, ou de la glorifier au contraire, parce qu’elle serait le corps du plaisir sensible.
La réception de Dieu, cette ligne d’extase qui fait tendre toutes nos cordes, n’est jamais qu’une singularité exprimée, la sensation de notre être ressentie à fond ; elle n’est ni dans la matière, ni dans la Forme ; elle est mêlée de ces deux voies, dans le chœur souhaité de toujours, qui se donne dans la Grâce, symphonie de l’être première, principielle – nécessaire et non seulement possible problématiquement.
La vision de saint Hélène, Véronèse, v. 1580
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